(de retour sur ce loyal bon vieux blog car après tout ce temps, ça me manquait)
On l’a vu ces dernières années, le spin-off – œuvre de fiction centrée sur un ou plusieurs personnages (généralement secondaires) d’une œuvre préexistante – ça rapporte. La nostalgie fait vendre et tirer la corde des origines d’un personnage, expliquer le pourquoi du comment de sa personnalité et de ses motivations est intéressant d’un point de vue certes narratif, mais surtout économique. Personne ne s’y trompe et qu’il s’agisse de grosses licences comme Star Wars ou Marvel, de séries télé, de film d’horreur ou d’action, tout le monde y va de son extension d’univers… Les origines de Darth Vader côtoient ainsi celles de Boba Fett, du Joker ou de sa fiancée Harley Quinn, pendant que la créature d’Alien attend son tour, coincée entre l’avocat corrompu de Walter White, Saul Goodman (Better Call Saul) et du clown au ballon rouge de Ça.
La bande dessinée Goldrake sort en Italie dans les années 60. Inspiré par notre Bebel national, le personnage principal, Goldrake, est un agent de la CIA qui parcourt le monde pour botter le cul des criminels de tous poils et séduire toutes les femmes qui croiseront sa route. La série est très populaire en Italie (plus de 300 numéros) et connait également un beau succès en France. Après quelques numéros en 1967 aux Editions de Poche, elle est reprise par Elvifrance qui la renomme GoldBoy et en édite pas moins de cent numéros avant de l'injecter dans divers autres titres de ses multiples collections.
Évidemment, ce ne sont pas les traditionnels ingrédients qui rendent les aventures de ce sous-OSS 117 palpitantes qui nous intéressent ici (bagarres pif-paf, microfilms cachés et autres avions obligés d’atterrir on ne sait où car les commandes ne répondent plus…), mais un personnage féminin qui va donner du fil à retordre à GoldBoy à plusieurs reprises : SADA.
Xenia dans Goldeneye. "On top ? Onatopp." |
En
1972, bien loin des actuelles orgies sérielles de Disney et
d’Hollywood, les scénaristes de GoldBoy ne dérogent pas à l’exercice du
spin-off, terme qui n'existait même pas, et proposent dans le Hors-Série TERROR n°4 sorti chez
Elvifrance une SADA STORY dans laquelle, ay caramba !, nous allons enfin en apprendre davantage sur
l’origine du personnage et ses motivations !
Alors voyons voir qui est cette femme qui a fait de la cruauté le seul but de sa vie…
~ L'histoire de SADA ~
Dans un amphithéâtre de la Sorbonne plein comme un œuf, un émérite
professeur de psychologie soutient à ses nombreux élèves très concentrés
que la méchanceté n’existe pas. Que le sadisme oui, ça d’accord, mais la méchanceté purement gratuite ? Ah non, ça non. Par exemple, il ne viendrait à
personne l’idée de tuer quelqu’un comme ça, sans raison, autrement dit,
que la capaci…. SHTACK !!!
Le coupant net dans son développement, une
flèche transperce le professeur !
Alors que l'assemblée hurle en proie à la panique, une voix s’élève, plus forte que les autres : “LE PROFESSEUR SE TROMPAIT
: LA MÉCHANCETÉ PEUT ÊTRE GRATUITE, UN PLAISIR EN SOI, J’EN SUIS LA
PREUVE ! AH AH AH !“
L’innocent professeur vient de payer de sa vie un caprice de la terrible SADA. Brrrrr…
SADA, née Marthe Caroline Brigitte Verneuil,
voit le jour à Paris. Issue d’une famille aisée, elle montre rapidement
un certain penchant pour la cruauté. Brûlé vif sur un bûcher miniature ("Miaooo"),
c’est d’abord le chat de la maison qui fait les frais de l’esprit
sadique de la jeune Marthe, avant que le canari de sa
mère ne rejoigne son ami félidé au paradis des animaux, une épingle à
tête ronde en travers du gosier. Allons bon, ça part mal ! Vertement punie pour avoir mis fin aux jours des animaux de la famille - ça se comprend - Marthe vit particulièrement mal la claque (“SCIAF !”) qu’elle reçoit de sa mère Madame Verneuil
et lui garde évidemment un chien de sa chienne. Quelques mois plus
tard, une nuit, elle aperçoit une silhouette dans le jardin qui s’avère
être… l’amant de sa mère ! Marthe sent que c’est
l’occasion parfaite de se venger de cette gifle qu’elle rumine encore.
Stratège, elle attend que l’amant rejoigne sa mère dans une pièce
discrète de la maison. En les observant à travers le trou de la serrure,
elle découvre le coït (“mais qu’est-ce qu’ils font ?“) et s’empresse bien sûr d’aller prévenir Monsieur Verneuil
qui descends illico revolver au poing, pantoufles et robe de chambre de
circonstance. L’amant s’échappe mais la virilité et l’autorité du père
ont été mises à mal, Marthe le sait. Elle le pousse
alors à tuer sa femme (sa mère donc, hein, rappelons-le), ce qu’il fait – en
pleine tête à bout pourtant – avant de réaliser l’horreur de son geste
et de se tirer une balle dans la tempe. Pour Marthe, ravie d’être enfin orpheline, c’est la libération !
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Avant de revenir dessus, le récit complet de SADA, dans le Elvifrance hors-série TERROR #4
Voilà donc l’histoire de Marthe Verneuil et de sa transformation en SADA, une épopée particulièrement violente et drôlement chargée en cadavres. Mais si cette SADA STORY s’adonne comme il faut à l’exercice du spin-off,
elle le fait d’une façon inattendue, le plus curieux dans cette volonté
d’éclaircir les origines du personnage étant d’expliquer… qu’il n’y a
pas grand-chose à expliquer !
Non, SADA n’a pas été violée, recours fréquemment
utilisé pour justifier la violence d’une femme (au point d’avoir donné
le sous-genre cinématographique du Rape and Revenge). Une autre raison souvent utilisée est la mort brutale des parents. Là encore, non, les parents de SADA n’ont pas non plus été sauvagement assassinés sous ses yeux façon Batman, au contraire, c’est même elle qui les as tués ! Alors quoi ?
L’infortuné Anakin Skywalker devient Darth Vader après avoir perdu sa mère et sa femme, le féroce Wolverine tue l’assassin de son père qui, dans un dernier soupir, lui confie être son véritable père, le Joker a subi brimades et humiliations, Maleficent s’est faite scier les ailes par l’homme qu’elle aimait...
Et SADA ? Rien du tout !
Aucun élément fondateur n’est à l’origine de sa méchanceté. Elle est comme ça car elle a toujours été comme ça et c’est aussi simple que ça. Elle est cruelle et malveillante depuis toujours ; elle aime manipuler, détruire et tuer gratuitement depuis toujours, sans aucune raison particulière si ce n’est que tout bonnement… eh bien elle adore ça. Bien née, elle n’a pas besoin d’argent et tire purement et simplement son bonheur de la souffrance des autres.
Alors que cette SADA STORY était censée mettre en
lumière le comportement destructeur et chaotique de cette femme, la
violence et la cruauté de celle-ci ne sont ni justifiées ni éclaircies
; et ce projecteur braquée sur elle ne la fait apparaître que plus
obscure. Les non-explications que donnent les scénaristes – d’un
pragmatisme presque décevant – sont d’autant plus déconcertantes
qu’elles ne font qu’épaissir l’aura lugubre de l’héroïne et le mystère
autour de ses motivations.
C’est tout ? Oui. C’est décevant ? Oh non ! Car c’est dans cet ultime
faux-retournement qu’apparaît finalement le vrai coup de maîtresse de Marthe Verneuil. Piéger le lecteur, le mettre dans la peau de GoldBoy afin de mieux l’obliger à accepter la vérité : c’est SADA qui a raison, elle est bel et bien l’incarnation du Mal. D’un mal pur, gratuit, assumé, impossible à prévoir ni à canaliser, fruit d’aucun besoin, d’aucune douleur, d’aucune frustration ni d’aucune logique, et c’est en se penchant ainsi sur ses débuts que les scénaristes la font gagner à la fin.
Échec et mat, GoldBoy ! AH AH AH !