vendredi 23 mai 2025

The Dark Side of the (Sailor) Moon




Alors qu’elle n’a quasiment jamais rien publié, la mangaka Naoko Takeuchi sort en 1992 ce qui fera d’elle une légende, doublée d’une multimillionnaire : Sailor Moon ! L’histoire de ces cinq jeunes filles aux pouvoirs magiques passionne (à juste titre) la jeunesse japonaise et c’est quelques semaines après la sortie du premier chapitre du manga que déboule la série animée chez Toei Animation, véritable onde de choc qui elle sera mondiale. Dans la foulée, un merchandising titanesque (toujours d’actualité) signé Bandai inonde la planète, allant du parfum au réveil en passant par des cartables, baumes à lèvres, montres ou CD-Roms. Mais qui dit licence officielle, qui plus est juteuse, dit forcément imitation. Entre alors en jeu la dark-licence, unauthorized, unofficial. Dans le jargon des brigands, on l’appelle le Bootleg : la contrefaçon. 

Agissant de nuit dans de lugubres usines et pressés de déguster leur part du gâteau sur le dos des collégiennes guerrières, les pirates du jouet sortent l’artillerie lourde et redoublent d’ingéniosité pour alimenter un marché alors avide des Magical Girls de Naoko Takeuchi. C’est ainsi que les magasins de jouets verront apparaitre sur leurs étals, à côté de Sailor Moon, d’autres guerrières cosmiques. Comme le Canada Dry, elles lui ressemblent, mais pas trop. Leur noms sonnent pareil, mais pas vraiment non plus. Le titre semble similaire, à une syllabe près….


Bienvenue dans le Dark Side of (Sailor) Moon, la face cachée de la (guerrière de la) Lune, là où quelque chose cloche chez les Jolies Guerrières (Bishōjo Senshi – 美少女戦士, c’est l’adorable titre japonais : La Jolie Guerrière Sailor Moon)


Mais tout d’abord, comment reconnaitre un jouet pirate Sailor Moon ? Déjà parce que c’est moche ! Si Sailor Jupiter semble avoir été faite dans de la patte à sel rance ou que Sailor Mars semble simplement décédée, alors il y a anguille sous roche. Concernant les illustrations sur le packaging c’est pareil, si votre Sailor préférée louche, a un bras plus long qu’un autre ou possède les stigmates du choléra, méfiance.

Et sinon, il reste toujours le réflexe de base, l’AOP du jouet : à qui appartient la licence ? Bandai. Le logo Bandai apparaît-il quelque part sur le packaging ? Si oui, tout va bien. Dans le cas contraire, aussi ressemblante soit-elle, c’est une contrefaçon.

Dans un souci de clarté, nous distinguerons quatre écoles de piraterie (qui peuvent s’adapter pour d’autres licences, comme Star Wars par exemple) : L’école du Champ Lexical, L’école de l’Astronomie, L’école du Rappel Sonore et L’école de la Nonchalance.


1 ) L’école du Champ Lexical  prend un tas de mots du même concept (ici la beauté et le combat) : Beautiful, Pretty, Beauty, Soldiers, Fighters... et s’amuse à tester toutes les variations et combinaisons possibles avec eux : Beauty Fighters, Pretty Fighter, Pretty Girl, Beautiful Girl Soldier….










                    






 2) L’école de l’Astronomie a uniquement retenu que s’il y a “Moon” dans le nom Sailor “Moon” c’est probablement car cette jeune fille doit avoir un lien avec la lune. Cette école va tenter de faire illusion en proposant d’autres jeunes filles de souche astrale : Meteor Girl, plusieurs Planet Girl aux rutilants packagings et autre Moon Princess. L’Italie proposera ainsi une Guerrière Stellaire ainsi qu'une Fée de la Lune et l’Angleterre aura sa Voyageuse du Rayon de Lune.














 3) L’école du Rappel Sonore, elle, va jouer la carte de la phonétique et du prénoms, se persuadant que cuisiner du Sailor à n’importe quel sauce ou enlever une lettre au nom d’origine est certainement l’écran de fumée le plus viable pour écouler son stock. Naitront ainsi la PrettySailor Annie, une élégante couette Sailor Shelly, Sailor Mary, Salemoons, la mythique SailorBike (!), SailorMoons (à prononcer sélaurmounss) ou encore les Petit Soldier (au lieu de Pretty Soldier) et les Young Beauty Flower Angels.













La plus brillante réussite de l’école du Rappel Sonore est probablement Shirley Moore, son nom étant une réverbération phonétique ET visuelle de celui de notre héroïne (ici les packagings de Chibi Moon et Sailor Venus)
La plus brillante réussite de l’école du Rappel Sonore est probablement Shirley Moore, son nom étant une réverbération phonétique ET visuelle de celui de notre héroïne (ici les packagings de Chibi Moon et Sailor Venus)




4) L’école de la Nonchalance est celle du jemenfoutisme total. Elle abuse des guerrières Sailor sans aucune originalité ni imagination et utilise leurs visuels dans un comportement à la limite du mépris. Même si je ne dis pas non à un petit sweat Walt Disney’s Sailor Moon, c’est l’école la plus triste.








Le “moon stick”, arme emblématique de Sailor Moon, a aussi eu droit à une belle sélection de contrefaçons ! Ci-contre le Rummy Wand, le Magic Wand, le Sorcery Stick, le Magic Stick, le Star Wonders et le Magic Feeling !











lundi 13 janvier 2025

Marthe Verneuil est morte, Vive Sada !


 (de retour sur ce loyal bon vieux blog car après tout ce temps, ça me manquait)

 


On l’a vu ces dernières années, le spin-off – œuvre de fiction centrée sur un ou plusieurs personnages (généralement secondaires) d’une œuvre préexistante – ça rapporte. La nostalgie fait vendre et tirer la corde des origines d’un personnage, expliquer le pourquoi du comment de sa personnalité et de ses motivations est intéressant d’un point de vue certes narratif, mais surtout économique. Personne ne s’y trompe et qu’il s’agisse de grosses licences comme Star Wars ou Marvel, de séries télé, de film d’horreur ou d’action, tout le monde y va de son extension d’univers… Les origines de Darth Vader côtoient ainsi celles de Boba Fett, du Joker ou de sa fiancée Harley Quinn, pendant que la créature d’Alien attend son tour, coincée entre l’avocat corrompu de Walter White, Saul Goodman (Better Call Saul) et du clown au ballon rouge de Ça.

La bande dessinée Goldrake sort en Italie dans les années 60. Inspiré par notre Bebel national, le personnage principal, Goldrake, est un agent de la CIA qui parcourt le monde pour botter le cul des criminels de tous poils et séduire toutes les femmes qui croiseront sa route. La série est très populaire en Italie (plus de 300 numéros) et connait également un beau succès en France. Après quelques numéros en 1967 aux Editions de Poche, elle est reprise par Elvifrance qui la renomme GoldBoy et en édite pas moins de cent numéros avant de l'injecter dans divers autres titres de ses multiples collections.

Évidemment, ce ne sont pas les traditionnels ingrédients qui rendent les aventures de ce sous-OSS 117 palpitantes qui nous intéressent ici (bagarres pif-paf, microfilms cachés et autres avions obligés d’atterrir on ne sait où car les commandes ne répondent plus…), mais un personnage féminin qui va donner du fil à retordre à GoldBoy à plusieurs reprises : SADA.

Dans la lignée de personnages anti-héros italiens comme Diabolik, Kriminal ou Satanik, SADA est foncièrement mauvaise. Humilier, tuer, torturer avec panache… tel est son quotidien au fil d’une dizaine de récits qui sans ça, sont malheureusement peu folichons. Cependant, comme son nom et son look de maitresse SM l’indiquent, c’est avant tout du sadisme et de la cruauté qu’elle tire son plaisir et ses fréquentes jouissances, ce qui nous intéresse déjà davantage ! Le rapport que SADA entretient avec GoldBoy est assez similaire à celui qu’entretient James Bond avec Xenia Sergeyevna Onatopp dans le film Goldeneye, fait d’Eros et Thanatos, de pulsions de sexe, de mort, d'autant d'envies de contrôle que d'abandon, mais également de compétition et finalement, de respect. Tout comme Xenia, SADA est imprévisible et incontrôlable, au grand dam du héros qui lui est bâillonné par des règles morales et éthiques dont elle a su, bien mieux que lui, se dispenser.


Xenia dans Goldeneye. "On top ? Onatopp."
 
 

En 1972, bien loin des actuelles orgies sérielles de Disney et d’Hollywood, les scénaristes de GoldBoy ne dérogent pas à l’exercice du spin-off, terme qui n'existait même pas, et proposent dans le Hors-Série TERROR n°4 sorti chez Elvifrance une SADA STORY dans laquelle, ay caramba !, nous allons enfin en apprendre davantage sur l’origine du personnage et ses motivations !

Alors voyons voir qui est cette femme qui a fait de la cruauté le seul but de sa vie…


Quelques-uns des Goldboy dans lesquels il croise la route de SADA. Malheureusement, les récits sont rarement à la hauteur des couvertures et encore moins de la beauté de certains titres (Faites l’amour sur ma tombe ou A San Remo, on meurt en chantant).


~ L'histoire de SADA ~

 

 

 

Dans un amphithéâtre de la Sorbonne plein comme un œuf, un émérite professeur de psychologie soutient à ses nombreux élèves très concentrés que la méchanceté n’existe pas. Que le sadisme oui, ça d’accord, mais la méchanceté purement gratuite ? Ah non, ça non. Par exemple, il ne viendrait à personne l’idée de tuer quelqu’un comme ça, sans raison, autrement dit, que la capaci…. SHTACK !!!
Le coupant net dans son développement, une flèche transperce le professeur !

Alors que l'assemblée hurle en proie à la panique, une voix s’élève, plus forte que les autres : “LE PROFESSEUR SE TROMPAIT : LA MÉCHANCETÉ PEUT ÊTRE GRATUITE, UN PLAISIR EN SOI, J’EN SUIS LA PREUVE ! AH AH AH !“

L’innocent professeur vient de payer de sa vie un caprice de la terrible SADA. Brrrrr…

 

SADA, née Marthe Caroline Brigitte Verneuil, voit le jour à Paris. Issue d’une famille aisée, elle montre rapidement un certain penchant pour la cruauté. Brûlé vif sur un bûcher miniature ("Miaooo"), c’est d’abord le chat de la maison qui fait les frais de l’esprit sadique de la jeune Marthe, avant que le canari de sa mère ne rejoigne son ami félidé au paradis des animaux, une épingle à tête ronde en travers du gosier. Allons bon, ça part mal ! Vertement punie pour avoir mis fin aux jours des animaux de la famille - ça se comprend - Marthe vit particulièrement mal la claque (“SCIAF !”) qu’elle reçoit de sa mère Madame Verneuil et lui garde évidemment un chien de sa chienne. Quelques mois plus tard, une nuit, elle aperçoit une silhouette dans le jardin qui s’avère être… l’amant de sa mère ! Marthe sent que c’est l’occasion parfaite de se venger de cette gifle qu’elle rumine encore. Stratège, elle attend que l’amant rejoigne sa mère dans une pièce discrète de la maison. En les observant à travers le trou de la serrure, elle découvre le coït (“mais qu’est-ce qu’ils font ?“) et s’empresse bien sûr d’aller prévenir Monsieur Verneuil qui descends illico revolver au poing, pantoufles et robe de chambre de circonstance. L’amant s’échappe mais la virilité et l’autorité du père ont été mises à mal, Marthe le sait. Elle le pousse alors à tuer sa femme (sa mère donc, hein, rappelons-le), ce qu’il fait – en pleine tête à bout pourtant – avant de réaliser l’horreur de son geste et de se tirer une balle dans la tempe. Pour Marthe, ravie d’être enfin orpheline, c’est la libération !


On la confie à sa tante Sonia Verneuil, avec qui elle ne tarde pas… de coucher ! Les deux femmes vivent cette idylle lesbo-incestueuse avec délice, jusqu’au jour ou Sonia rencontre, malheureusement pour elle, l’homme qui lui fait découvrir l’amour. Davantage par vexation que par jalousie, Marthe ne supporte pas cet union et masque son meurtre du tourtereau en accident de voiture, au grand malheur de Sonia, dont chaque larme de désespoir provoquée par la disparition de l’être aimé arrose et nourrit davantage le sadisme toujours plus grimpant de sa nièce. Quelques temps plus tard, Marthe se lasse de Sonia et réalise que si cette dernière disparaît, elle se retrouve en possession de l’héritage de ses riches et défunts parents. Oh, par un heureux hasard Sonia ne sait pas bien nager… Elles partent ensemble en bateau et Marthe la balance à la baille ! Sauf que cette fois-ci la police enquête et le meurtre de sa tante est celui de trop : Marthe Verneuil est envoyée en prison et pas n’importe laquelle, celle de Loudun (référence évidente aux Possédées de Loudun)
 
 

Quelques scènes de Women in Prison plus tard, Marthe la possédée organise son évasion en provoquant un gigantesque incendie dans l’établissement pénitentiaire. Notre anti-héroïne profite de la débandade générale pour étrangler une pauvre fille qui lui ressemble, qu’elle déshabille et jette ensuite nue dans les flammes, comme un revival du bûcher miniature pour le chat. Elle enfile les vêtements de la malheureuse afin de se faire passer pour elle et s’échappe sans trop de problème, aidée par l’innocent chauffeur de la prison Philippe, qu’elle tue une fois arrivée à bon port (elle n'en est plus à ça près). Une dernière chose à régler : le meurtre du juge Flamarion et de sa femme dans la foulée (leur nom de famille avec un M en moins est-il une référence à l’éditeur ?) qui l’avait condamnée à la prison quelques mois plus tôt. La sombre besogne accomplie, c’est décidé : riche et enfin libre, Marthe Verneuil peut mourir à son tour et laisser place à SADA, l’archange du mal, plus grande criminelle de tous les temps, recherchée en vain par toutes les polices du monde !
 
 
 

 ~~~~~~


Avant de revenir dessus, le récit complet de SADA, dans le Elvifrance hors-série TERROR #4

 


 
 


















Voilà donc l’histoire de Marthe Verneuil et de sa transformation en SADA, une épopée particulièrement violente et drôlement chargée en cadavres. Mais si cette SADA STORY s’adonne comme il faut à l’exercice du spin-off, elle le fait d’une façon inattendue, le plus curieux dans cette volonté d’éclaircir les origines du personnage étant d’expliquer… qu’il n’y a pas grand-chose à expliquer !
Non, SADA n’a pas été violée, recours fréquemment utilisé pour justifier la violence d’une femme (au point d’avoir donné le sous-genre cinématographique du Rape and Revenge). Une autre raison souvent utilisée est la mort brutale des parents. Là encore, non, les parents de SADA n’ont pas non plus été sauvagement assassinés sous ses yeux façon Batman, au contraire, c’est même elle qui les as tués ! Alors quoi ?

L’infortuné Anakin Skywalker devient Darth Vader après avoir perdu sa mère et sa femme, le féroce Wolverine tue l’assassin de son père qui, dans un dernier soupir, lui confie être son véritable père, le Joker a subi brimades et humiliations, Maleficent s’est faite scier les ailes par l’homme qu’elle aimait...


Et SADA ? Rien du tout !

Aucun élément fondateur  n’est à l’origine de sa méchanceté. Elle est comme ça car elle a toujours été comme ça et c’est aussi simple que ça. Elle est cruelle et malveillante depuis toujours ; elle aime manipuler, détruire et tuer gratuitement depuis toujours, sans aucune raison particulière si ce n’est que tout bonnement… eh bien elle adore ça. Bien née, elle n’a pas besoin d’argent et tire purement et simplement son bonheur de la souffrance des autres.

Alors que cette SADA STORY était censée mettre en lumière le comportement destructeur et chaotique de cette femme, la violence et la cruauté de celle-ci ne sont ni justifiées ni éclaircies ; et ce projecteur braquée sur elle ne la fait apparaître que plus obscure. Les non-explications que donnent les scénaristes – d’un pragmatisme presque décevant – sont d’autant plus déconcertantes qu’elles ne font qu’épaissir l’aura lugubre de l’héroïne et le mystère autour de ses motivations.

C’est tout ? Oui. C’est décevant ? Oh non ! Car c’est dans cet ultime faux-retournement qu’apparaît peut-être finalement le vrai coup de maîtresse de Marthe Verneuil : Piéger le lecteur, le mettre dans la peau de GoldBoy afin de mieux l’obliger à accepter la vérité : c’est SADA qui a raison, elle est bel et bien l’incarnation du Mal. D’un mal pur, gratuit, assumé, impossible à prévoir ni à canaliser, fruit d’aucun besoin, d’aucune douleur, d’aucune frustration ni d’aucune logique, et c’est en se penchant ainsi sur ses débuts que les scénaristes la font gagner à la fin.


Échec et mat, GoldBoy ! AH AH AH !

 

 




Un costume de SADA troublant de réalisme, entre maitresse SM, mannequin inquiétant de Giallo et méchante d’un film de Georges Franju ! Il s’agit de l’époustouflante tenue Balenciaga de Kim Kardashian pour le Met Gala 2021, dans lequel, pour être davantage sous la lumière, Kim K. a littéralement choisi l'obscurité et la disparition.