dimanche 24 novembre 2013

"Mon affiche préférée à toujours été celle que je devais faire demain" : entretien avec l'affichiste Jean Mascii.






En Août 2001, Georges Michel - auteur d'un livre d'entretien avec le compositeur Lalo Schifrin - rencontre l'une des légendes discrètes du cinéma : l'affichiste Jean Mascii. L'interview devait être publié dans "Simulacres", splendide revue parue aux Editions Rouge Profond. Cependant, l'arrêt de la revue entraîne, entre autre, la mort de ce rare document.

Un immense merci à Georges Michel pour - en plus d'avoir rédigé une introduction pour le post - m'avoir fait confiance en me fournissant la totalité du "Dossier Mascii" avec carte blanche pour la mise en forme, ainsi qu'à Guy Astic, rédacteur en chef des Editions Rouge Profond, pour m'avoir autorisé, rempli de cet enthousiasme qui le caractérise, la publication de cet article.



Jean Mascii, chez lui. Août 2001 (photo Georges Michel)



Rencontre avec Jean Mascii, par Georges Michel


A la question de Libération «  Pourquoi filmez-vous ? » , Georges Lautner répond en mai 1987 :
«  Mon rêve aurait été d'être conteur, de raconter des histoires le soir à la veillée devant l'âtre ou sur une place orientale devant un parterre d'enfants. Timide, je n'ai jamais pu sortir un mot. Le film m'a dissimulé aux yeux de l'auditoire et j'ai osé raconter. Raconter pour moi c'est essayer de communiquer avec les spectateurs ; de partager avec eux une émotion que je leur apporte. Quand je sens une salle prête à pleurer ou bien à éclater de rire à l'une de mes bêtises alors j'ai l'impression d'avoir atteint mon but. J'ai un contact avec les gens, je ne suis plus seul.  »
Il suffit de remplacer les mots film et raconter  par affiche  puis dessiner ; Jean Mascii aurait pu donner la même réponse à Libé. Travailler dans l'ombre, au service du 7ème Art. Faire vibrer les spectateurs devant une scène peinte. Les convaincre de s'engouffrer dans une salle par la dextérité d'un trait de pinceau. Émotion, sincérité, solitude. Lautner, Mascii même combat. Le plaisir des autres. Jubilation et frénésie de l'artiste envers ceux qui ne le sont pas.

J'avais obtenu un rendez-vous chez lui, rue Perronnet à Neuilly sur Seine. Déjà, au téléphone, j'ai tout de suite senti que l'homme n'était pas du genre à se laisser importuner par un scribouillard à deux balles venu lui extirper une puissante réflexion sur l'étroite connivence entre la peinture de Pic de la Mirandole et son affiche du Guépard ou bien une fine analyse des jeux d'acteurs de Belmondo et Eddie Constantine dans l'univers de Jean-Luc Godard. « Mon job c'est de dessiner ». Point.

Je lui avais fait parvenir quelques jours avant, un exemplaire de la belle et défunte revue de cinéma Simulacres dans laquelle j'avais écrit un article sur un autre grand artisan du cinéma (1). Après m'avoir dit au téléphone que la revue était d'une « grande tenue », mais que dans certains articles «  les mecs coupaient un peu les cheveux en quatre », il m'avait invité.

Qui était Jean Mascii ? Depuis des lustres que je bavais sur ses affiches avec la mystérieuse signature verticale ( il fallait pencher la tête) avec ces deux i et ces deux points sur les i, à quoi ressemblait-il ?

14 heures, au numéro 61 de la rue. Je sonne. Réponse rapide et brève, un coup.

Je repense aux questions à poser en grimpant les marches. Mais cela ne sert jamais. Arrivé sur le palier, une porte est ouverte, un grand monsieur sur le seuil. Élancé, chevelure blanche, en bras de chemise. Il ne lui manque qu'un pinceau au bout du bras. Il me fait un petit signe. Nous nous serrons la main chaleureusement, son regard perçant me scrute puis il me fait signe de le suivre. L'appartement est meublé simplement, style années 60, comme dans les films de Gilles Grangier ou Henri Verneuil. Le salon est partagé en deux. Une immense table à dessin occupe la moitié de l'espace. Les murs sont couverts de dessins, d'affiches, de projets d'affiches et de tableaux. 

Pendant qu'il me parle, je repère derrière lui Depardieu, Belmondo ou Gabin. Je l'écoute (et l'enregistre, merci Gründig) mais mes yeux sont attirés dans tous les coins, comme un cambrioleur.
Ce sont les maquettes qui ont servi pour la réalisation des affiches officielles. A la gouache ou à l'encre, format A4 et sous verre. Le sous-verre bon marché que l'on trouve dans les bazars. Il me parle de ses débuts, de son métier. Sans bla-bla. Il n'est pas là pour parler politique, histoire du cinéma ou faire l'analyse d'un film. Son job, c'est dessiner et rendre l'affiche dans les délais pour pouvoir en démarrer une autre. Il a conçu et peint près de 2000 affiches de films.

Je suis enthousiasmé par une peinture représentant le naufrage du Titanic. Format 13x18, une peinture avec trois niveaux. Au premier plan, une femme qui hurle ; au second les chaloupes sur l'eau noire ; en toile de fond, devant l'iceberg, le paquebot penché et à moitié englouti. Dans le plus pur style Mascii. «  Comment ça 3 niveaux ? C'est un naufrage, point final. » Pas de parlotte, être efficace. 
Comme toujours sur ses affiches, le personnage principal ( Belmondo, Bronson, Eastwood) une scène du film ( bagarre, chevauchée, poursuite) et la toile de fond ( explosion, horizon, paysage ).

Pendant l'entretien Jean Mascii a été d'une courtoisie et d'une gentillesse confondantes. Rassemblant ses souvenirs et essayant de me faire comprendre au plus près son métier d'artisan. 

Du film à promouvoir, il ne savait pratiquement rien. Un jeu de photos, un mince scénario et au travail. La nuit, toujours. Pendant que Paris dort.

Notre rencontre a duré trois heures. Après une petite collation ( un plateau avec des gâteaux et des boissons était prêt), je l'ai remercié et salué en lui promettant de lui faire parvenir l'article avant parution. Quelques jours plus tard, dans ma boîte aux lettres, je reçois un livre de Richard Peck aux éditions J'ai Lu. Le titre : Amanda-Miranda 2. Je reconnais la couverture. C'est le Titanic du vestibule. A l'intérieur, un mot gentil et LA signature avec deux i et deux points sur les i. A cause des impondérables et des aléas de l'édition ( numéro à boucler dans l'urgence, textes à imprimer en priorité...), la publication de cet entretien a été remise à plus tard pour finalement ne jamais être publiée.

Jean Mascii est mort en novembre 2003 et j'ai toujours regretté cette promesse non tenue. Non pas à cause de son contenu bien sûr, mais parce que je m'étais engagé, qu'il m'avait fait confiance et qu'il a du attendre en vain ce numéro de Simulacres.

Je remercie bien chaleureusement Mister Gutsy de m'ôter ce poids et de rendre enfin l' hommage que je m'étais promis de rendre à ce grand monsieur. Et puis, dans les salons douillets de ses envoûtantes Rétro-Galeries, il sera bien à son aise, calé entre Emanuele Taglietti, Norman Saunders et Reynold Brown.


Georges Michel, pour les Rétro-Galeries.

(1) Article sur la musique de Schifrin pour le film Bullit.





-----------------------------------------------
ENTRETIEN AVEC JEAN MASCII
-----------------------------------------------





- Avez-vous pu lire notre article (1) concernant vos deux affiches des "Yeux sans Visage" de Franju ? (ndmg : article lisible en fin d'entretien, ou en cliquant ici )


- Bien sûr et je l'ai même relu plusieurs fois. J'estime que lorsqu'on fait un métier comme le mien, c'est à dire un travail qui est fait pour être exposé aux yeux de tout le monde pour créer une réaction, il faut tout accepter, les compliments qui font plaisirs et les critiques, ou bien alors on fait autre chose. Je reconnais que cet article-là n'est pas mal fait. L'auteur est parti d'un postulat, du masque, du rouge etc... c'est très bien développé. Mais ce qui me gêne un peu, c'est qu'en lisant cet article, j'ai découvert tout ce que je pensais à cette époque là ! Je n'étais pas au courant. 
S'il avait mis ça au conditionnel, je comprendrais : "Mascii a du vouloir exprimer ça ", mais au contraire, je lis : "le visage de la fille défigurée au centre de l'affiche est un as de cœur ", "Un rouge qui renvoie à une double stratégie d'arrachage "... 
Franchement, ce genre de réflexions ne m'a jamais effleuré l'esprit. Si vous voulez, quand j'ai lu l'article, ça m'a un peu rappelé Metropolis sur la Cinq où ils tartinent des commentaires. Ce qui m'a gêné, c'est l'affirmation, me faire dire des choses... mais ce n'est pas grave. C'était déjà arrivé dans Télérama je crois, au sujet d'une affiche de Charles Trenet dans "La romance de Paris". 

J'avais dessiné un Charles Trenet bras ouverts. Le journaliste disait que c'était une image kitsch, et que j'avais peint les personnages du du haut plus clair que ceux du bas pour signifier "l'espoir qui renait", alors que c'est complètement faux. j'avais simplement  fait ça, car dans le procédé d'impression en lithographie, les deux coloris que j'avais choisis étaient plus pratiques à utiliser. Lorsque je vois les critiques d'art qui parlent d'un tableau construit en triangle etc... Pour moi, le seul critère valable pour une affiche de cinéma est d'essayer de faire une image qui suggère quelque chose au futur spectateur, pour lui donner envie de connaître la suite et de payer sa place pour rentrer au cinéma. Ça se résume à ça. Il ne faut pas se gonfler la tête.


- Serge Daney disait que l'affiche de cinéma est un peu l'ange gardien(2) d'un film...


- Je ne comprends pas ce qu'il veut dire. C'est plutôt le papier d'emballage du film. C'est elle qui va présenter le film au public et qui va le faire accepter ou pas. C'est très aléatoire. Ça dure très peu de temps; maintenant elle est remplacée par les critiques de la télé et les spots radio. Je ne crois pas qu'elle ait une influence primordiale. Elle sert d'empaquetage mais lorsque vous allez ouvrir le cadeau, c'est ce qu'il y a dedans qui compte. L'affiche est faite pour présenter le film le mieux possible afin d'inciter le client à avoir envie de le voir. Elle aidera le film sur une courte durée mais on ne peut bluffer les gens et le bruit courra très vite que c'est un nanar. L'affiche en jette peut-être, mais ils iront voir autre chose.



- Êtes-vous cinéphile ?

- Oui, j'aime le cinéma, mais je n'en fais pas une théorie. Je m'intéresse à autre chose que le cinéma. J'ai stoppé ma carrière à 70 ans car je trouvais que j'avais déjà bien travaillé. Je voulais continuer à faire ce qu'il me plaisait : la peinture. J'ai peint certains tableaux en même temps que ma carrière, dès que j'avais un moment. C'est seulement depuis cinq ans que je m'y adonne à temps complet. Je peins dans un nouveau style, je cherche autre chose, je continue à faire des portraits dans une manière différente. Je pars du principe que tout est fait par zones, entre lumière et ombre et je passe d'une zone à l'autre, comme un découpage. La littérature c'est mon manque, je lis beaucoup, mais uniquement des livres qui m'apprennent quelque chose. Le roman ne m'intéresse pas. Ce qui me passionne, c'est la spiritualité, l'Egypte. Il y a plus de trente ans que cela me tient. "Le Miracle Égyptien ", "Le Temple de l'Homme ", "Le Roi de la Théocratie Pharaonique " du philosophe Schwaller de Lubicz qui avait passé douze ans à Luxor, sont des livres qui m'ont ouvert la voie. Je sais que ça ne coïncide pas avec mon personnage. Je suis pourtant un "non-violent", mais quand je regarde mes affiches, c'est formidable ce qu'il peut y avoir comme flingues ! Je ne m'en suis pas rendu compte. Toutefois, je crois que ça n'avait pas le même impact. Maintenant la violence est méchante. A l'époque, dans les westerns, le héros tuait quinze personnes, mais on savait qu'ils allaient se relever après. Aujourd'hui, c'est plus tendancieux.


- A quel stade du film intervenez-vous ? 

- Très souvent au tout dernier moment. C'est ce qui est un peu embêtant car c'est toujours pressé, très urgent. Justement, pour Les Yeux sans Visage, je n'ai pas vu le film. J'ai peut-être visionnée 10% des films dont j'ai fait l'affiche. D'abord, je n'avais pas le temps d'aller au cinéma. Le fait de visionner le film avant de concevoir l'affiche peut aider, ou bien provoquer l'effet inverse. Je trouve ça plus normal de travailler sans en savoir trop. Ou alors, il ne faudrait faire que des affiches pour des gros films, avec de grands metteurs en scène et des stars. J'estime que mon travail est plus utile pour un petit film qui n'a pas beaucoup de moyens de défense que pour Kubrick qui pouvait sortir un film sans affiche. On me donnait un synopsis, un jeu de photos, les obligations publicitaires, et c'est moi qui créait la calligraphie du titre. La taille des lettres du nom des acteurs en revanche était déterminée par contrat, comme la taille de leurs visages. Par contre, c'est moi qui décidait si l'affiche allait être en couleur ou en noir et blanc. Comme pour "Alphaville " de Godard. Je n'ai pas vu le film. Ça m'a suggéré une image d'anticipation, il fallait qu'il y ait Constantine dans une ambiance spéciale.




- Qui retient l'affiche ?

- Le chef de publicité. C'est la personne avec laquelle j'avais le plus de contacts. Il m'arrivait d'avoir affaire au distributeur, plus rarement au producteur.  Quant au metteur en scène, je ne le rencontrais que très rarement, et donc j'ai très peu ou pas d'anecdotes croustillantes à vous raconter. Il est arrivé que l'on montre la future affiche au metteur en scène, mais c'était plutôt par élégance. Je n'ai jamais eu de contacts suivis avec des réalisateurs, je les croisais en salle de projection, mais après, c'était le chef de publicité qui me donnait les directives ou les conseils. A certaines périodes, si vous aviez un film avec des bateaux, on me disait : "pas de bateaux, ça ne marche pas en ce moment les bateaux ". Ou bien "pas d'avions ", ou bien encore "mets moi un petit hélico, ça fait toujours bien"...
J'ai un client qui faisait beaucoup de films d'action. Il voulait toujours un petit hélicoptère sur l'affiche. Je lui disais de ne pas s'inquiéter, que je rajouterai son engin volant sur le dessin. Il a sorti son film en Afrique, les africains sont beaucoup plus sensibles que nous à l'image, ils sont restés plus purs. Lorsque les spectateurs se sont rendu compte qu'il n'y avait pas d'hélicoptère dans le film alors qu'il était dessiné sur l'affiche, ils ont saccagé la salle, cassé les sièges ! Il avaient été volés. Publicité mensongère.


- Vos affiches ont donc pu venir en aide à certains films ?

- C'est arrivé. Il y a des clients qui m'ont écrit. Par exemple, la personne qui me réclamait toujours des petits hélicoptères et pour laquelle j'ai fait Barbarians , avec des espèces de Stallone, m'a affirmé que le film avait marché grâce à l'affiche. De vous à moi, il parait que le film n'est pas terrible.





- Votre style étant très particulier, vous deviez avoir un fichier...

- Oui, bien sûr, tous les affichistes avaient leur clients. Nous travaillions un peu pour tout le monde, mais nous avions des clients habituels qui nous commandaient des affiches régulièrement. Une chose a été dure pour nous, affichistes de cinéma : nous n'étions pas tellement considérés par les affichistes commerciaux. Je ne veux dire du mal de personne mais c'est la vérité. Entre affichistes de cinéma, il y avait une bonne entente. Quelquefois nous nous retrouvions sur des projets identiques et c'est la meilleure affiche qui était sélectionnée. Mais ça s'est vite tassé, l'amitié entrait en jeu, c'était bien réparti. Mes gros clients étaient Columbia, Warner, UGC. Ma manière leur convenait. Justement, à propos de la trilogie des Dollars, je ne suis pas certain d'avoir réalisé les trois affiches. Il m'arrive de me tromper, mais je suis presque sûr d'avoir dessinée seulement Et pour quelques dollars de plus  et Le Bon, la Brute et le Truand . Je revois Clint Eastwood en pied avec son poncho, et Gian Maria Volonte.
Je n'ai jamais rencontré Sergio Leone. Ça c'est du cinéma que j'aime, un vrai spectacle. Les Artistes Associés n'étaient pas des clients à moi. Ils m'ont contacté car ils devaient considérer que leurs films correspondaient bien à ma manière. "Le Bon, la Brute et le Truand " est une affiche que j'aime bien. Elle va bien avec le film, qui est efficace, et c'est ce que je cherchais à rendre : l'efficacité. 




 - Les années 60 marquent l'apparition des photos sur les affiches...

- Jusqu'en 60 on travaillait en litho, l'ancien procédé couleur par couleur. Puis est arrivée l'hélio, plus facile à utiliser car c'était comme la reproduction d'une photo. Alors il y a beaucoup de gens qui ont commencé à faire des affiches photos. Ça m'a bien arrangé aussi car c'était un procédé qui permettait de faire des choses beaucoup plus fouillées. Avant, il fallait faire un visage avec trois couleurs (chair, marron, noir). Tout était reproduit manuellement par le lithographe. Il fallait faire l'affiche au format 120x160. Le lithographe faisait le dessin de l'affiche et la reproduisait couleur par couleur mais à l'envers. C'était un peu la loterie; si vous tombiez sur un bon lithographe, vous obteniez une affiche qui était meilleure que la vôtre. Sinon, ça pouvait être la catastrophe. C'était plus simple mais aussi plus solide. Je n'ai fait qu'une ou deux affiches photos. A ce moment, j'ai eu une petite baisse de régime, j'ai essayé de m'adapter mais ça ne m'amusait pas du tout. Ce qui m'a permis de me tourner vers l'édition. Puis lorsque le Boum est passé, c'est revenu. Par contre pour Ferracci, l'hélio a été un pas important. Il a fait un paquet d'affiches, mais il disposait d'un temps de recherche plus long. Il cherchait l'idée mais l'exécution était rapide. Il a dû en faire 3000.


- En 50 ans de carrière, vous avez toujours préféré l'affiche peinte...

- Je ne peux vous dire le contraire. J'estime que ça a le même avantage que la photo, avec du caractère en plus. Que ce soit pour un film doux comme "Le Guêpiot ", ou au contraire pour un film d'action, on peut ajouter du caractère avec la manière. C'est l'avantage du dessin sur la photo. La manière est toujours la même mais on peut lui donner plus ou moins d'impact.




- Vous êtes reparti sur les chapeaux de roue en 1980...

- Ça vient de René Chateau qui est un amoureux du cinéma. C'est lui qui m'a poussé, il ne mégote pas sur la publicité. La première affiche que j'ai réalisée pour "Flic ou Voyou " ne plaisait à personne, ni à Belmondo ni au distributeur. C'est lui qui l'a imposée, puis tout le monde a trouvé qu'elle était belle et c'est comme ça que la série à démarrée. Ce qui me plait chez lui, c'est qu'il peut, par amour, faire des choses où il va perdre de l'argent. Il peut être dur en affaire, mais ce que j'apprécie chez lui, c'est sa passion. Ses livres sont très bien faits. J'ai aussi redessiné certaines affiches pour sa collection Vidéo. C'est la plus productive car je faisais cela en plus de l'édition et de la publicité (campagne d'affichage pour RTL, Nostalgie...) Nous avons eu un petit problème, mais ça n'a pas cassé notre amitié. Je l'aime beaucoup et je sais que c'est réciproque. On s'est rappelé depuis.

J'AI LU a lancé une campagne pour démarrer des collections. Frédéric Ditis, souhaitant que je travaille pour lui, m'a contacté pour réaliser les illustrations de couvertures. C'était un peu une récréation car je n'avais pas de maquette à présenter comme pour le cinéma où il faut toujours trois ou quatre projets. D'ailleurs, à la fin je n'en faisais plus. Je prenais un petit morceau de chacun pour un créer un quatrième, je présentais donc un dessin définitif et ça marchait presque à tout les coups. Je n'avais plus qu'a la mettre en couleur et ça me faisait gagner du temps.


- Avez-vous une opinion sur les nouvelles affiches que vous découvrez ?

- Je suis un peu dépassé par les événements car je ne suis plus dans le coup et je suis cela d'assez loin. On sent qu'il y a un petit retour à l'affiche illustrée, mais ça n'est pas fait à la main. Je crois que je métier d'affichiste comme je l'ai pratiqué est bien fini. Maintenant, lorsque je passe chez Publidécor, même dans la toile peinte, c'est l'ordinateur avec des aérographes fixés sur des rampes qui fait tout. Le travail est parfait, c'est comme une photo, aussi bien. Ils peuvent faire une voiture qui saute de haut en bas, c'est impeccable mais ça n'a pas de caractère, c'est froid. Avant, il y avait des affiches plus ou moins réussies mais ça vivait, c'était humain. L'humain disparaît avec la technique de plus en plus puissante.


- Y a t-il des affiches que vous auriez aimé réaliser ?

- Non, jamais. Au contraire, chaque fois que je vois une affiche qui me plaît, je me dis qu'il faut que je fasse mieux. Je ne suis pas jaloux de mes confrères, c'est plutôt excitant et stimulant, comme une rivalité dans le bon sens du terme. Je n'ai jamais refusé d'affiche non plus. Par contre, il m'est arrivé de mettre longtemps pour trouver l'idée. Lorsque ça ne déclenche pas d'entrée, ce n'est pas bon. Si ça ne colle pas au départ, ça n'est jamais très bon à l'arrivée. Si le sujet que l'on vous propose vous fait vibrer, ça va aller. Par exemple, pour "La vie de château" (4), l'idée ne venait pas . J'attendais le soir, puis je renvoyais au matin ou au lendemain. Je ne réussissais pas à dessiner Catherine Deneuve non plus. Le film était plutôt sympathique mais l'inspiration n'était pas au rendez-vous. J'ai eu aussi des affiches refusées, celles qui sont accrochées dans mon hall : "Jean de Florette " et "La Passion Béatrice ". Pourtant je sais que Bertrand Tavernier l'aimait bien... 


- Regrettez-vous de ne pas posséder certaines de vos affiches ?

-  Non, car je n'ai pas d'affiches dont je sois spécialement fier. Mon affiche préférée à toujours été celle que je devais faire demain. Sauf peut-être celle des "Feux de la Rampe " car c'est ma première affiche pour un film très important et ça a été mon grand départ. Sinon je ne suis pas collectionneur; celles que je possède, je les ai obtenues comme ça. Je pourrais en avoir besoin pour une expo mais je connais des collectionneurs qui m'en prêteraient. Justement, une exposition retraçant toute ma carrière doit avoir lieu courant 2002 à Mirandola. C'est la ville de Pic de la Mirandole (5). C'était le prince des Érudits, il avait fait la synthèse de toute les connaissances et était prêt à répondre à tous les scientifiques de l'époque sur tous les sujets. A 19 ans, il parlait 22 langues. Pendant que l'on organisait un grand débat à Rome, 13 de ses thèses ont été déclarées hérétiques... le tableau que vous voyez au mur, c'est lui. Mirandola est aussi ma ville natale.


- En 50 ans de métier, vous avez toujours conservé cette passion...

- J'ai passé des nuits à dessiner dans une petite piaule à Saint Germain en Laye. je travaillais dans le silence ou en compagnie d'un petit poste de radio. je voyais le jour se lever, et je regardais d'en haut toute cette bande d'abrutis qui dormait... je me prenais un peu pour Superman. On fait ce métier parce que c'est en soi, on ne peut pas le pratiquer par occupation. J'ai été très content de la vie que j'ai vécue, je n'aurais pas voulu être plus riche, j'ai eu une vie pleine et j'ai fait ce qui m'a plu. 
J'ai connu des gens sympathiques. C'était ma passion. Dire que la majorité des gens s'ennuie du matin au soir ! A l'époque, j'ai eu jusqu'à dix affiches à réaliser presque en même temps avec des dates très serrées, mais il n'y a pas un soir où je sois monté dans mon atelier sans plaisir.



NOTES

1 - Simulacres n° 3 (été 2000) Lecture d'affiche p. 138. (voir image ci-dessous)
2 - Préface de "Les Affiches du Cinéma Français" de J.L. Capitaine. Editions Seghers. Archimbaud 1988.
3 - Film de Joska Pilissy. 1981.
4 - Film de Jean-Paul Rapenneau, avec Bernard Fresson. 1965.
5 - 1463-1494. Auteur de l'APOLOGIA et l'HEPTAPLUS


Simulacres n° 3 (été 2000) Lecture d'affiche p. 138.
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)




 Editions Rouge Profond / Georges Michel
© Tout droits réservés pour l'intégralité de l'entretien + photos.



-----------------------------------------
AFFICHES de JEAN MASCII
-----------------------------------------


La totalité des affiches ci-dessous sont des scans,
alors n'hésitez pas à cliquer sur les images pour les agrandir !










Détail de l'affiche du film "La Griffe"



Détail de l'affiche du film "Les deux rivales"




Détail de l'affiche du film "Chisum"










Détail de l'affiche du film "Frankenstein s'est échappé ! "





Détail de l'affiche du film "Colorado"




Détail de l'affiche du film "L'île des braves"





Détail de l'affiche du film '"Funny Girl "




Détail de l'affiche du film "Ces dames s'en mêlent"











Détail de l'affiche du film "le Bon la Brute et la Truand "




------------------------




Deux exemples de catalogues René Château illustrés par Jean Mascii




 Détail de "Le chirurgien de Saint-Chad" de Theresa Charles - Editions J'AI LU 


  Détail de "Inez, infirmière de Saint-Chad" de Theresa Charles - Editions J'AI LU 











Amusante couverture de "Bilbo le Hobbit " de Tolkien, avec un Bilbo qui fait davantage penser à Anthony Franciosa qu'à un hobbit. 












3 commentaires:

  1. Admirable et précieux entretien. Merci à Georges Michel pour ce partage, et à Mister Gutsy pour cette initiative.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, très content de votre commentaire, BBJane.

      Supprimer
  2. Très impressionné par cet illustrateur affichiste. Quelle production et surtout quel talent. J'aime sa précision dans son travail et la ressemblance qu'il donne à ses personnages. Les femmes notamment sont vraiment superbement bien peintes. J'aime aussi un autre illustrateur du nom de Soubie.

    RépondreSupprimer